Pourquoi Nike est en difficulté ?

Large leader sur le marché de la sneakers et du streetwear depuis près d’une décennie, Nike a vu son avance fondre, tout en restant tout de même assez largement numéro un sur le marché. Mais au lieu de la croissance attendue, la marque peine, voire régresse dans certains domaines, je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

Des revendeurs échaudés

Aux alentours de 2020, Nike, sûre de sa force, a établi une nouvelle stratégie, basée sur ce que l’on appelle le « DTC », soit « Direct to Consumer ». Cette nouvelle stratégie de distribution avait pour objectif de mettre Nike en lien direct avec ses clients finaux, en « supprimant » au maximum les intermédiaires, c’est à dire les revendeurs tels FootLocker, JD Sport…

Pour bien comprendre comment cela fonctionne, Nike classe ses revendeurs par « pyramide ». Plus vous êtes haut dans la pyramide, plus vous avez accès aux « meilleurs » produits Nike. Ainsi, par exemple, Intersport ne distribue pas la même gamme que JD Sport, et n’a pas accès aux best-sellers que sont les dunks ou les Air Force 1. De la même manière, JD Sport n’a pas accès aux meilleures collaborations, réservées à d’autres acteurs au-dessus dans la pyramide, comme Shinzo ou Opium.

Second point, tous les revendeurs ont aussi, en plus de ces restrictions d’accès, des quotas. Ainsi, ils sont limités en quantité sur les modèles, pour ne pas saturer le marché vous dira Nike, mais parfois aussi, ils sont limités sur le nombre de modèles qu’ils peuvent prendre. De cette manière, Nike créé artificiellement de la rareté, et donc de la demande sur ses produits.

Puis, la stratégie DTC de Nike s’approchant, les quotas se sont réduits de plus en plus, allant de la fermeture pure et simple de certains comptes à la réduction drastique chez d’autres. Et chez des groupes pour qui Nike représentait parfois 60 à 70% du chiffre d’affaires, forcément, ça fait mal.

Nike se rendant compte que la stratégie DTC a eu des effets pervers, comme du surstock, mais aussi la perte d’une clientèle qui n’a pas changé ses habitudes et se rend toujours dans ses magasins pour acheter ses baskets, a souhaité revenir un petit peu en arrière.

Seulement, les grands groupes ont maintenant deux arguments à opposer à Nike.

Le premier est qu’il va être difficile de refaire confiance à la marque au swoosh, et que les chaines ne lui laisseront plus prendre autant d’importance qu’auparavant. Le second est que les marques venues combler les trous laissés par Nike, comme notamment On Running, Hoka, et New Balance, et dans une moindre mesure car plus limitée à l’Europe, Asics, performent très bien, et que les chaînes n’ont pas de raison de les sortir de leurs linéaires.

Nike se retrouve donc dans une position ou le stock doit être assaini, même si les grosses promotions du début de 2024 ont permis d’écouler pas mal de produits, et ou les places pour proposer ses produits se réduisent, malgré la position de numéro 1 sur le marché de la marque.

La hype, c’est bien. La réalité, c’est mieux.

Chez Nike, depuis quelques années, on multiplie la communication autour des prix exorbitants du resell des modèles de la marque. On parle beaucoup des produits très hype, très chers, très rares. Mais savez-vous quel a été la meilleure vente de la marque plusieurs années durant ?

Pas la Air Force 1.

Pas la Dunk.

La Nike Tanjun.

Vous ne connaissez pas ? C’est normal.

la Nike Tanjun

La Nike Tanjun est restée plusieurs années durant la plus grosse vente en volume de la marque, grosso modo entre 2017 et 2020, pour plusieurs raisons évidentes. La première, sa facilité d’accès. Dans toutes les enseignes sportives, vous pouviez la trouver. Seconde raison, son prix. Elle était proposée entre 65 et 75€ à l’époque, soit un rapport qualité prix très raisonnable. Dernier argument en sa faveur, son design. Simple, discret, la Tanjun, finalement, pouvait sans soucis convenir à madame tout le monde qui voulait des baskets pour aller marcher le week-end, comme pour les plus jeunes qui avaient besoin d’une paire pour leurs activités sportives par exemple.

Mais Nike s’est mis en tête de faire monter le panier moyen de ses clients, et a sorti les Roshe Run, notamment, puis d’autres modèles, rendant la Tanjun moins visible, et l’offre moins claire pour le commun des mortels. Car pour le père de famille qui regarde les sneakers uniquement comme un accessoire, et non pas comme un objet de mode, comprendre les 30€ de différence entre une Tanjun et une Roshe Run n’est pas forcément évident.

De plus en plus, Nike s’est concentré sur ses modèles haut de gamme. Ses collaborations. Ses séries limitées. Toute la communication, ou presque, est partie sur cette frange de la marque. Oubliant que l’immense majorité des clients ne regarde même pas ces modèles, mais vient chercher une paire comme un outil du quotidien dans sa boutique habituelle.

Et si aujourd’hui le client ne trouve plus sa paire de Nike, puisque la marque s’est volontairement retirée des linéaires, et bien il optera pour une Asics s’il est en Europe, ou une On Running aux Etats-Unis, des modèles au moins aussi confortables que les Nike, et dans des gammes de prix similaires.

Ne jamais oublier son histoire !

Dernier point qui me semble important dans le ralentissement de Nike, la marque a, quoi qu’on en dise, quelque peu oublié qui elle était. Nike, au départ, c’était deux mecs un peu fous qui créaient des baskets de sport avec des gaufriers (ce n’est pas une blague, la Waffle, l’un des tous premiers modèles de Nike, tient son nom de la semelle réalisée par Bill Bowerman avec le gaufrier de sa femme). Et qui à chaque fois cherchaient à faire plus. Plus vite. Plus léger. Plus solide. Et pour toucher toujours plus de gens.

Mais depuis quelques années, les innovations Nike sont très réduites. Si l’on excepte la sneakers incroyable réservée à l’élite pour le marathon, que peut-on citer ? Le Joyride, qui a été une catastrophe économique, le Lunarlon, qui n’aura pas tenu bien longtemps, et le React, que la marque n’a jamais su mettre en avant malgré des qualités évidentes, et des caractéristiques au final largement comparables à ce que proposent Asics et On Running en termes de confort et de maintien.

la technologie Joyride de chez Nike

Et au fur et à mesure de ses restructurations, Nike a perdu des éléments clés de ses équipes de recherche et développement. Souvent, on entend parler d’anciens de Nike qui se retrouvent chez d’autres marques, ou dans d’autres secteurs. Mais la marque a perdu des forces vives, dans un secteur ou, bien que cela puisse surprendre, la course à l’armement technologique est sans fin.

Mais alors, que faire pour Nike ?

Dans un premier temps, il est important de bien insister sur un point : Nike ralentit, mais la marque reste numéro 1 sur le marché. Largement.

Ce que Nike doit faire, à mon avis, c’est retrouver sa clientèle perdue dans un premier temps. Je ne parle pas des sneakerheads ou des fashion victimes, qui changeront de marque préférée selon les tendances, et ils auront bien raison. La clientèle que Nike doit retrouver, c’est le plus grand public.

Un exemple assez récent m’a frappé. Nike disait souvent ne pas travailler sur les paires pour enfants, car, en grandissant, tous les jeunes voudraient les paires de leurs grands frères, qui eux porteraient tous des Nike.

Mais sur le marché du basketball, récemment, Puma a pris une direction toute opposée, et a répondu parfaitement aux attentes des plus jeunes avec les modèles de Lamelo Ball. Et depuis, la marque ne cesse de progresser, en fidélisant son public dès le plus jeune âge, et cela, malgré une offre Puma bien plus réduite que l’offre Nike. Que Nike ne vise pas les jeunes en priorité est une chose, mais que la marque ne propose presque plus de modèles accessibles en termes de prix à toute une partie de son public, c’est très troublant. Dans ce domaine, la marque a arrêté les PG13 et les Kyrie, deux des modèles les moins chers, et a fait monter le prix des KD, des Lebron, tout en rendant les Kobe presque inaccessibles. Comment voulez-vous continuer à porter du Nike dans ces conditions ?Il y a toute une partie du public qui n’est plus adressé, et ce devrait être une vraie priorité pour la marque.

Seconde chose, la communication. La marque ne parle plus directement, ou presque, et laisse les influenceurs et les réseaux sociaux le faire pour elle. C’est forcément très valorisant d’entendre dire que ses modèles se revendent le plus cher, que les raffles ont été sold-out, que les produits s’arrachent. Mais de quelle quantité parle-t-on ? Le chiffre d’affaires des modèles hype n’est qu’une frange de ce que génère Nike, qui, pourtant, ne parle plus du reste de son offre. Le client moyen n’est plus aussi marqué par l’image Nike que nous l’étions il y a une quinzaine d’année. Et les réseaux sociaux ne représentent qu’une minorité du public sneakers. Certes, la minorité la plus vocale, mais pas la plus rentable. Et Nike s’est laissée subjuguer par ce tableau en trompe l’œil.

Il y a donc du travail, mais soyons francs, Nike ne m’a pas attendu pour réaliser tout cela, et a peut être analysé d’autres facteurs encore que je n’ai pas abordé ici. Toujours est-il qu’il va être intéressant de suivre la nouvelle stratégie du swoosh durant les prochains mois, et les prochaines années, et de vérifier si cela porte ses fruits.


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Une réflexion sur “Pourquoi Nike est en difficulté ?

  1. bonjour,

    marrant de relire l article de décembre 2022 sur ce même sujet évoquant la stratégie payante du DTC.

    j étais un sneakerhead, j ai passé l âge, sur la trentaine de paires achetés en 5 ans, 2 paires de Nike devant l impossibilité d obtenir une paire qui m intéresse (encore ce matin avec les Agassi) j ai changé de crémerie….

    bien a vous

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